Après la première lettre de la Duchesse d'Orléans, lançant une sorte de défi épistolaire à sa tante Sophie de Bohème, l'Electrice du Hanovre, celle-ci riposte de la même encre. Voici le résultat de cette sorte de gageure.
Un des intérêts de ces lettres est bien sur de montrer quel était le ton du langage, vers la fin du XVIIème siècle, à la Cour de France, et dans toutes les cours d'Europe.
Citons Paul Reboux (La Princesse Palatine, 1934) : "Nous croyons nous conformer aujourd'hui à une bienséance traditionnelle en bannissant de notre langage les mots crus et les images osées. Les gens d'autrefois ignoraient notre puritanisme. La franchise du langage et la crudité des mots étaient pour eux un signe d'honnêteté. Durant le XVIIIème siècle, ce sont les corrompus qui fardèrent l'expression de leur pensée.
N'importe. Il est pénible, répugnant, presque insoutenable pour un lecteur d'aujourd'hui de prendre connaissance d'un document tel que celui-là. Les plus grossières des chansons de salle de garde, les plus lourdes des plaisanteries de caserne, ne sont que guirlandes de roses auprès de ces deux lettres dont l'authenticité ne fait aucun doute et qu'échangèrent, je le répète, deux hautes et puissantes dames de la société du XVIIème siècle, l'une belle soeur de Louis XIV, l'autre souveraine d'un pays dont les princes et les princesses étaient parmi les plus considérés des cours d'Europe."
Hanovre, 31 octobre 1694
C'est un plaisant raisonnement de merde que celui que vous faites sur le sujet de chier, et il paraît bien que vous ne connaissez guère les plaisirs, puisque vous ignorez celui qu'il y a de chier ; c'est le plus grand de vos malheurs. Il faut n'avoir chié de sa vie, pour n'avoir senti le plaisir qu'il y a de chier ; car l'on peut dire que, de toutes les nécessités à quoi la nature nous a assujettis, celle de chier est la plus agréable.
On voit peu de personnes qui chient qui ne trouvent que leur étron sent bon ; la plupart des maladies ne nous viennent que par faute de chier, et les médecins ne nous guérissent qu'à force de nous faire chier, et qui mieux chie, plus tôt guérit. On peut dire même que qu'on ne mange que pour chier, et tout de même qu'on ne chie que pour manger, et si la viande fait la merde, il est vrai de dire que la merde fait la viande, puisque les cochons les plus délicats sont ceux qui mangent le plus de merde. Est-ce que dans les tables les plus délicates, la merde n'est pas servie en ragoût ? Ne fait-on pas de rôties de la merde des bécasses, des bécassines, d'alouettes et d'autres oiseaux, laquelle merde on sert à l'entremets pour réveiller l'appétit ? les boudins, les andouilles et les saucisses, ne sont-ce pas des ragoûts dans de sacs à merde ? La terre ne deviendrait-elle pas stérile si on ne chiait pas, ne produisant les mets les plus nécessaires et les plus délicats qu'à force d'étrons et de merde ? Etant encore vrai que quiconque peut chier sur son champ ne va pas chier sur celui d'autrui.
Les plus belles femmes sont celles qui chient le mieux ; celles qui ne chient pas deviennent sèches et maigres, et par conséquent laides. Les beaux teints ne s'entretiennent que par de fréquents lavements qui font chier ; c'est donc à la merde que nous avons l'obligation de la beauté. Les médecins ne font point de plus savantes dissertations que sur la merde des malades ; n'ont-ils pas fait venir des Indes une infinité de drogues qui ne servent qu'à faire de la merde ? Il entre de la merde dans les pommades ou les fards les plus exquis. Sans la merde des fouines, des civettes et des autres animaux, ne serions-nous pas privés des plus fortes et des meilleures odeurs ? Les enfants qui chient le plus dans leurs maillots sont les plus blancs et les plus potelés. La merde entre dans quantité de remèdes et particulièrement pour la brûlure.
Demeurez donc d'accord que chier est la plus belle, la plus utile et la plus agréable chose au monde. Quand vous ne chiez pas, vous vous sentez pesante, dégoûtée et de mauvaise humeur. Si vous chiez, vous devenez légère, gaie, et de bon appétit.
Manger et chier, chier et manger, ce sont des actions qui se suivent et se succèdent les unes aux autres, et l'on peut dire qu'on ne mange que pour chier, comme on ne chie que pour manger. Vous étiez de bien mauvaise humeur quand vous avez tant déclamé contre le chier ; je n'en saurais donner la raison, sinon qu'assurément, votre aiguillette s'étant nouée à deux nœuds, vous aviez chié dans vos chausses. Enfin, vous avez pris la liberté de chier partout quand l'envie vous en prend, vous n'avez d'égard pour personne ; le plaisir qu'on se procure en chiant vous chatouille si fort que, sans égard au lieu où vous vous trouvez, vous chiez dans les places publiques, vous chiez devant la porte d'autrui sans vous mettre en peine s'il le trouve bon ou non.
Et, marquez que ce plaisir est pour le chieur moins honteux que pour ceux qui le voient chier, c'est qu'en effet la commodité et le plaisir ne sont que pour le chieur. J'espère qu'à présent vous vous dédirez d'avoir voulu mettre le chier en si mauvaise odeur, et que vous demeurerez d'accord qu'on aimerait autant ne point vivre que ne point chier.
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