Charles venait seulement de naître qu’il perdait sa mère. Fragilisée par plusieurs grossesses successives, une vie aride, elle avait disparu de sa vie. Son père ne pouvant assumer la charge d’un nourrisson, l’avait confié à une autre mère. C’est là qu’il grandit, ignorant de ce secret. Une enfance solitaire, animée semblait-il d’un poids que la nature ne pouvait adoucir, ni l’amour immense de cette seconde mère, « la toute donnée » à laquelle il rendra hommage.
Juliet, n’est pas un écrivain commun, c’est un être marqué par la vie, par ce silence qui condamna tant de familles qui tenaient à rester muettes. Mais c’est un être que l’écriture ramena à lui. Renaissance par ses mots, d’un homme qui conjuguerait la gravité du Greco au perfectionnisme d’un Vinci.
On reste fasciné devant ce texte. Son écriture semble trempée dans du cristal, minutieuse à l’extrême, poétique, tragique comme du Grec ancien.
On raconte que son premier manuscrit (L’année de l’éveil) n’a vu le jour que parce qu’il l’avait perdu et que celui qui le trouva parvint à le convaincre de le publier. Ce premier récit raconte sa vie d’enfant de troupe, vêtu d’un uniforme qu’il portera des années durant, symbole d’humiliations et de brimades. Rendu à la vie civile, il découvre une liberté qu’il veut consacrer à la littérature. Mais la littérature est pour lui viscérale. Elle ne peut être romanesque, elle cherche uniquement la justesse. Si elle traque la vérité, c’est pour mieux la rendre.
Il découvre tard l’existence de sa première mère « l’esseulée ». Paysanne vaincue par la loi du quotidien. Ecolière assidue. Jeune fille qui voulait aimer, lire, apprendre. Mère qui renoncera à vivre. A son époque, une tentative de suicide signifiait exclusion. Internée en psychiatrie, elle y passera le reste de sa vie et y mourra de faim.
Le succès de son premier livre, immédiatement adapté au cinéma, donne à Charles Juliet la liberté d’écrire. Dans un moment de dépression aiguë, il avait écrit une lettre à cette mère inconnue. Il retrouve ce texte et le reprend. Ainsi, c’est par l’écriture qu’il parviendra à comprendre sa vie, et finalement, à comprendre la sienne. Il lui faudra douze ans pour l’achever. Et grâce à lui, renaître.
Lambeaux pour résumer une vie dont il ne reste rien. Lambeaux qui résume une écriture si dépouillée qu’elle peut déplaire. Mais l’écriture est bien le fil de ce récit, le dernier fil peut être …
Nul ne saurait mieux incarner cette parole de Paul Valéry : « La vérité est nue, mais sous le nu, il y a l’écorché »
D'abord descendre. Encore descendre. Le dégager de la tourbe, ou de la boue, ou bien encore d’un magma en fusion. Puis le tirer, le hisser, lui faire péniblement traverser plusieurs strates au sein desquelles il risque de s’enliser, se dissoudre. S’il en émerge enfin, s’il vient au jour, et quand tu le couches sur le papier, alors que tu le crois gonflé de ta substance, tu découvres qu’il n’est qu’un mot inerte, pauvre, gris. Tu le refuses.
Tu redescends dans la mine, creuses plus profond, cherches celui qui apparaîtra plus dense, plus coloré, plus vivace. Ainsi, sans fin. Ainsi cet épuisement qui te maintient en permanence à l’extrême de ce que tu peux.
- Charles JULIET, Lambeaux, P.O.L., 1995
commentaires
azer 05/03/2007 17:59
Anna 19/09/2006 18:27
barbara 30/12/2005 12:43
ChrystÚle 22/11/2005 04:44
Artis 20/11/2005 11:55
Zavac 02/11/2005 17:30
lobita 31/10/2005 19:04